Un lecteur de Péguy : Robert Marcy
Le 31/10/2013
Né en 1920, Robert Marcy est un grand homme de théâtre, mais aussi de radio et de télévision. Acteur et metteur en scène, également auteur et compositeur de chansons, il est le mari de Denise Bosc. En 1973, pour le centenaire de la naissance de Charles Péguy, le couple se voit confier la responsabilité d’organiser une soirée dédiée à Péguy sur la 1ère chaîne de l’O.R.T.F. Mais l’attachement de Robert Marcy à la pensée de Péguy est bien plus ancien, comme il l’évoque dans le vibrant témoignage ci-dessous.
Amitié Charles Péguy : Comment en êtes-vous arrivé à Péguy ?
Robert Marcy : Très tôt j’ai croisé Péguy. Un metteur en scène de théâtre avait engagé le tout jeune acteur que j’étais pour jouer Didier le Portant dans « Jeanne d’Arc ». C’était en 1942, et ce spectacle où l’on voyait l’ennemi bouté hors de France avait beaucoup de succès dans les nombreuses villes de la Zone Sud où nous jouions. Combien j’ai aimé cette pièce et ce rôle ... ! Mais en vérité je ne me suis guère intéressé à l’auteur. Je n’ai retenu à vrai dire que ces beaux moments de théâtre et, en fait, oublié Péguy.
Beaucoup plus tard, Denise Bosc, la comédienne qui est devenue ma femme, m’a fait connaître les textes poétiques de Péguy et en particulier les Mystères. C’est d’eux surtout que je me suis épris. Sur des sujets si graves, un parler si simple a fait plus que me dérouter. Il a radicalement saisi l’incroyant que j’étais alors. J’ai immédiatement chéri son langage. Les vérités que l’Evangile donnait à méditer, voilà qu’il les offrait bonnement, comme on parle à un petit enfant, avec évidence et tendresse.
Ce que « dit Dieu », comment ne pas l’écouter ? Péguy parle comme on ouvre les mains. Style et pensée unis, il fait que tout devient lumineux et simple - comme Dieu lui-même est simple. Et, avec la sagesse, il offre la beauté. A entendre – j’allais dire à contempler encore et encore tel ou tel passage pourtant bien connu, c’est toujours le même ravissement de l’âme et des sens.
Pureté, densité, simplicité ... comment de telles clartés pourraient-elles rester sous le boisseau ? J’ai vu immédiatement à quel point elles étaient propices à la transmission orale. Temporel et spirituel mêlés, le son est incarnation. Ce parler-là est fait pour être reçu par l’oreille. Aussi n’ai-je eu de cesse que, par ma bouche – puisque tel est mon métier – il parle aux autres pareillement.
Il ne s’est jamais passé longtemps sans que Denise et moi le fassions entendre. Au théâtre avec cette « Jeanne d’Arc » en trois actes que j’avais tant admiré à vingt ans, au théâtre encore avec « Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc », à la télévision à l’occasion du centenaire de 1973, et naturellement par d’innombrables lectures publiques, choisies selon les auditoires et les thèmes de circonstance.
Cette même année 73, je repris contact avec Jean Bastaire qui déjà nous avait marqué de l’intérêt depuis les représentations de «Jeanne» au Théâtre du Vieux-Colombier. Alors commença entre nous une amitié profonde qui ne se démentit jamais. Sa présence fraternelle fut déterminante pour mon compagnonnage avec Péguy. A vrai dire, j’étais peu familier de ses œuvres en prose. Certes je connaissais les thèmes de la cité harmonieuse, et son socialisme séduisait fort le mien. J’avais lu quelques autres textes également, et je lui étais reconnaissant des positions vigoureuses qu’il prenait sur tant de sujets. Je n’en avais cependant qu’une connaissance fragmentaire, n’ayant fait en somme que survoler... « survoler » Péguy !
Quand Bastaire m’offrit son « Péguy tel qu’on l’ignore », je vis alors combien j’étais loin d’avoir évalué l’étendue de son œuvre. Aujourd’hui je souris en retrouvant, insérées à l’époque dans mon exemplaire du livre de Jean, toutes mes feuilles volantes où je mentionnais avec soin et précision les thèmes de ma propre sélection, avec numéro de la page et ... minutage approximatif en vue de lectures publiques. Besoin de partager, évidemment.
Le mode de transmission à ma portée n’est-il pas la parole ? Poussé par l’enthousiasme, j’ai donc entrepris de faire un choix de lectures. J’ai lu, non certes l’intégralité de l’œuvre, mais assez cependant pour me convaincre de sa richesse, de sa cohérence, et dans le même mouvement enrichir de façon considérable ma propre culture...
Mais à mesure que je découvrais ces trésors, je sentais mon embarras grandir. Cette œuvre d’une variété insoupçonnée me déroutait. Si caducs que fussent certains des événements évoqués, les sujets étaient traités avec une hauteur, une lucidité, une exigence telles qu’il s’agissait bien d’une œuvre essentielle, incontournable et de portée universelle. Elle appelait pour le moins étude et réflexion. N’en proposer qu’une simple écoute était exclu.
Il ne m’a pas échappé pourtant que tout au long des sujets traités, ici et là, et bien avant que fût venu le temps où Péguy reconnût sa foi, affleurait par endroits, sans ambiguïté, la note de profondeur spirituelle dont vibrait son âme. Celle qui, à vrai dire, n’a jamais cessé de l’inspirer. Or, sur les passages où elle s’exprime, qu’y a-t-il à commenter ? Il suffit de dire. C’est ainsi que, découvrant des merveilles, j’ai pu donner à entendre telles ou telles pages, puisées notamment dans De Jean Coste, dans L’Argent suite, dans Notre jeunesse et surtout dans Véronique – en particulier le passage admirable où la nuit de Gethsémani est relatée dans un éclairage unique. Pages bouleversantes, d’une portée infinie - sur lesquelles a insisté en son temps Jean Bastaire.
Je n’ai pas manqué non plus d’apprécier et de faire partager son humour. J’ai souvent offert à un public ravi les pages savoureuses où il relate l’épreuve de « composition française » pour la licence ès-lettre de son ami Tharaud, contraint de « commenter le célèbre couplet de Madame Jourdain » (il se trouve, je crois, dans Notre patrie 2e suite).
Et même, il m’arrive, en période d’élections, de renoncer à l’oral. Plongeant résolument Péguy dans l’actualité, je placarde ici et là ces lignes fameuses que je ne résiste pas à recopier : « Ces élections nous paraissent une formalité grotesque, universellement menteuse ... Et vous avez le droit de le dire. Mais des hommes ont vécu, des hommes sans nombre, des héros, des martyrs, tout un peuple a vécu pour que le dernier des imbéciles aujourd’hui ait le droit d’accomplir cette formalité dérisoire ... Elle a été préparée par un siècle d’héroïsme. »
Ma dette envers Péguy ne saurait s’exprimer en quelques mots. Ce que j’ai reçu de lui n’est pas mesurable et ne se limite pas à ce qu’il m’a été donné d’en transmettre oralement. Il est au fondement de tout un pan de ma vie spirituelle et intellectuelle.
Je sais que mon cas n’est pas exceptionnel. Nous sommes, Dieu merci, de plus en plus nombreux à reconnaître en cet homme libre et inclassable, malmené par le monde et souvent trahi, un maître en bien des matières – et pas seulement en théologie. La preuve en est que ses admirateurs, ses disciples, celles et ceux qui ont recueilli de lui la bonne semence ne cessent de se multiplier. La minime, quoique valeureuse, cohorte de l’Amitié Charles Péguy du siècle dernier n’a cessé de se développer. Sa vitalité d’aujourd’hui atteste qu’elle est «fondée sur le roc».
Propos recueillis par Olivier Péguy
Par : brandenburg
Note :
Titre : remarques quater
Avis : cet entretien commence bien et finit mal:le droit de vote a permis de tuer impunèment des inocents,les pretres en 1789,un bon Roi grotesqumemt et ignominieusement appelé tyran par de vrais tyrans et aujourd'hui le massacre de millions de saints innocents dans le sein de leur mère et par la volonté de celle-ci!Si Péguy était vivant,on l'entendrait!Contre jaurès déja il avait tout dit:une mystique dégradée en politique!Honte!