Colloque à Cerisy: voix à entendre, voies à ouvrir

Le 28/06/2014

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Ce sera un des temps forts des manifestations autour du centenaire de la mort de Charles Péguy : le colloque qu'organise l'Amitié Charles Péguy au Centre culturel international de Cerisy, du 30 juin au 7 juillet. L'intitulé : "Voix de Péguy: quels échos aujourd'hui". A quelques jours du début de ce colloque, les deux organisateurs, Claire Daudin et Jérôme Roger, ont accepté de répondre à quelques questions. 



Amitié Charles Péguy : Vous organisez un colloque sur Charles Péguy au Centre culturel international de Cerisy. Pourquoi avoir choisi ce lieu particulièrement ?



Claire Daudin : Le domaine de Cerisy est depuis plusieurs décennies un lieu très important pour la vie intellectuelle et culturelle de notre pays. Edith Heurgon, son actuelle directrice, maintient une tradition familiale inaugurée par son grand-père Paul Desjardins à l’abbaye de Pontigny, dont les fameuses Décades ont accueillies les grands noms de la littérature européenne. Un colloque Péguy avait déjà été organisé dans ce lieu prestigieux en 1971 : j’ai eu l’occasion d’en feuilleter l’album photographique, ce qui fut très émouvant, car on y retrouvait tous ceux qui ont formé la génération actuelle : François Gerbod et Julie Sabiani, Jean Bastaire, le P. Pie Duployé, André Devaux et bien d’autres… Organiser un deuxième colloque en 2014, c’est témoigner de l’actualité de Péguy, et de la vitalité des études péguystes.

Jérôme Roger : Il se trouve que  j’ai déjà participé à deux colloques à Cerisy, l’un sur Claudel, l’autre sur Michaux,  et j’ai pu apprécier dans les deux cas, la passion qui peut animer les débats, le ton assez libre des interventions également, qui peut trancher avec celui parfois plus convenu des  colloques strictement universitaires. 



A.C.P. : Pendant une semaine, les participants vont débattre autour d'une interrogation : "Voix de Péguy : quels échos aujourd'hui ?" De quoi va-t-il être question plus précisément ?



C.D. : En cette année du centenaire de la mort de Péguy, nous avons déjà eu l’occasion de réfléchir sur ce qu’on pourrait appeler son « message ». Le colloque sur «  l’actualité de la pensée politique de Péguy » a été riche a cet égard, nous permettant de faire consonner les thèmes chers à l’auteur avec les questions que se pose notre époque. En nous interrogeant sur la voix, ou les voix de Péguy, car le pluriel a plus de sens que le singulier ici, nous voulons souligner tout ce qui a trait à l’oralité dans le style de l’écrivain. Péguy est un créateur de revue, un acteur du débat intellectuel, et un pédagogue. Il ne l’oublie jamais quand il écrit, que ce soit en prose ou en vers. C’est bien une voix, ou un concert de voix, qui résonnent dans ses textes. Ils gagnent d’ailleurs à être entendus autant qu’à être lus. C’est pourquoi nous avons invité plusieurs comédiens, qui nous expliqueront leur rapport particulier au texte de Péguy, et nous le ferons découvrir à travers le prisme de leur voix.

J.R. : Comme tous les grands créateurs, Péguy invente son propre langage à partir d’une critique radicale des usages dominants de la langue, académique, politique, théologique et  jusque  dans le champ de la production littéraire. Par  là,  son actualité  ne  se  réduit  certainement  pas à des formules souvent  ressassées, ou citées sorties de leur contexte, de leur  flux, de leur «  voix » précisément. Le citationisme a fait grand tort    à sa lecture. Raison de plus pour en sortir.



A.C.P. : A qui ce colloque s'adresse-t-il ?



C.D. : Tous les colloques de Cerisy sont publics. Séjourner dans le château, se promener dans le parc, est une expérience à faire ! Le programme est établi de telle sorte que les communications ne se succèdent pas à un rythme effréné : on prend le temps de s’exprimer, de s’écouter, et surtout d’échanger. La journée est entrecoupée de promenades et de récréations ; les soirées sont consacrées à des représentations ou tables rondes. Toutes les personnes qui s’intéressent à Péguy sont les bienvenues. Pour ceux qui ont fait de son œuvre leur objet d’études, c’est une occasion  irremplaçable de partager et d’ouvrir des voies nouvelles. Nous aurons d’ailleurs plusieurs jeunes chercheurs, ce dont je me félicite.

J.R. : Il faut souhaiter que ce colloque intéresse   toute personne désireuse de faire une rencontre,  d’écouter  un  air différent,  et pas nécessairement à des « spécialistes ». D’ailleurs qu’est-ce qu’un spécialiste de Péguy, la question attend toujours sa réponse. Les artistes, les poètes, les comédiens, les étudiants, les historiens, aussi bien que l’homme de la rue sont les bienvenus.

=> Préciser qui est attendu et surtout quel public peut se sentir concerné par ces débats (universitaires ? intellectuels ? étudiants ? artistes ?...)



A.C.P. : D'après vous, pourquoi la voix de Péguy trouve-t-elle encore un écho aujourd'hui ?



C.D. : Parce que nous abordons son œuvre débarrassés des préjugés qui l’ont étouffée. La lisant et la laissant résonner sans entraves, on ne peut qu’être frappé par sa puissance. Péguy pensait bien au-delà de son temps, et il écrivait dans une langue dont la vigueur a déconcerté ses contemporains, mais qui nous atteint aujourd’hui de plein fouet. Les thèmes de la primauté de l’argent dans le monde moderne, de la vulnérabilité des civilisations et de la nécessité d’enseigner pour humaniser l’homme sont encore plus d’actualité aujourd’hui qu’à la veille du premier conflit mondial. En ces temps de « communication », on a plus besoin que jamais d’entendre une voix authentique, avec ses accents propres, ses convictions et son engagement.

J.R. : La réponse à cette question est délicate, pour ne pas dire difficile. Par les temps de grande confusion intellectuelle que traverse la société française, on peut penser (craindre) que Péguy apparaisse comme un recours,   alors  que le monde qu’il a connu  n’est le plus nôtre, et que, fondamentalement,  c’est un solitaire.  Le succès du récent  colloque de l’ENS est,  de ce point de vue,  équivoque, mais c’est peut-être aussi le symptôme de la vitalité (on   a même parlé de la « folie »)  de son style intempestif, ou inactuel. Ne nous leurrons pas, les lecteurs de Péguy, y compris dans l’enseignement supérieur, ne sont pas légion, mais sa voix demeure étrangement présente et touche les jeunes gens. Elle résonne.



Propos recueillis par Olivier Péguy



© photo : Archives Pontigny-Cerisy. 


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