"Péguy, écrivain vivant" dans La Vie

Le 25/07/2014

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L'hebdomadaire La Vie consacre à Charles Péguy, un dossier de plusieurs pages dans son numéro 3595 (24-30 juillet 2014), avec en Une, ce titre : "Péguy, Républicain et mystique". L'article principal revient sur le parcours de cet "écrivain poète philosophe et chrétien" qui, d'après La Vie, "n'a jamais été si présent dans les pensées". Le magazine ouvre également ses colonnes à trois personnalités qui revendiquent une proximité intellectuelle avec le fondateur des Cahiers de la Quinzaine : Jacques Julliard, François Bayrou et Alain Finkielkraut. Enfin, le directeur de la rédaction de La Vie, Jean-Pierre Denis, signe un billet au titre aussi curieux qu'inapproprié: "Un chrétien inactuel". Nous le reproduisons ci-dessous avec l'aimable autorisation de l'auteur.



« Peut-on encore être péguyste ? Il semblerait que non. La preuve : tout le monde fait mine de l'être, ce qui paraît pour le moins louche. Peut-être parce que l'œuvre de Péguy est plastique, ses positions évolutives. Ou parce que, finalement, si ses grandes formules nous frappent encore, ses valeurs profondes nous sont devenues inaccessibles. Dans deux excellents livres à lire absolument cet été, la mort du lieutenant Péguy, de Jean-Pierre Rioux, et Tué à l'ennemi, de Michel Laval, on mesure à quel point la finalité de son combat nous échappe. Quittant son carcan domestique, Péguy monte vers la balle qui le frappe avec méthode et enthousiasme. Contre Jaurès, il ne doute pas d'avoir raison. Patrie, héroïsme, abnégation : ses évidences ne font plus forcément sens dans une culture qui a évolué de la mort acceptée à la mort refusée.



Nous sommes passés, pour le meilleur ou pour le pire, d'une société sacrificielle à une société compassionnelle. Qui voudrait encore tomber debout pour la République ? Qui serait prêt à renoncer à tout –argent, carrière, amour, vie– pour honorer librement ce qu'il croit ? Péguy est essentiellement inactuel. Ses idées ne rentrent plus dans nos cases. Mais il est vrai qu'elles ne rentrent pas non plus dans celles de son époque. Il est internationaliste et il est patriote. Il est fidèle et se fait des quantités d'ennemis. Il est socialiste et il est chrétien. Il est chrétien et il est dreyfusard. Il est républicain et il est mystique. Il est mystique mais il doit tenir boutique. Il est poète mais il est journaliste. Enfin et surtout, il est pessimiste et prêche l'espérance.



Se mettre à son école, c'est donc oser un christianisme du paradoxe, de la brèche, insolent, attestant de la vérité supérieure de la foi mais contestant le christianisme lui-même. C'est revendiquer un pessimisme de l'espérance : tout est perdu, donc tout commence. C'est entretenir avec la vérité un rapport de vérité et avec la passion un rapport passionnel. C'est vouloir que la littérature, la politique, la religion, le journalisme, bref, que toute la société vie au rythme d'un prophétisme de feu qui carbonisera par son verbe toutes les compromissions. Bref, c'est exiger l'impossible – et plus je lis Péguy plus cela me semble, à tout prendre, la moindre des choses. »



Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de La Vie


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