Il y a 100 ans, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était assassiné à Paris. Ce centenaire coïncide avec celui de la mort de Charles Péguy. Entre les deux hommes, de nombreuses similitudes : le passage par l'Ecole normale supérieure, l'adhésion au « socialisme », la défense de Dreyfus. Et puis il y a les points de divergence... De nombreuses chercheurs se sont penchés sur la relation entre Péguy et Jaurès (voir N°113 et 114 du Bulletin de l'Amitié Charles Péguy). Evelyne Loew est l'auteur de nombreuses pièces de théâtre. Elle a notamment écrit « Péguy-Jaurès, la guerre et la paix », un texte mis en scène et joué actuellement au festival de Figeac (Lot). Nous l'avons interrogé sur son spectacle et surtout sur ces deux figures : Péguy et Jaurès.







Amitié Charles Péguy : Vous avez écrit un spectacle "Péguy-Jaurès, la guerre et la paix". Vous mettez face-à-face ces deux figures du début du XXème siècle. Qu'est-ce qui vous a séduit dans ces deux personnages ?



Evelyne Loew : Leur honnêteté intellectuelle et leur probité. Le fait qu’ils ont mis en accord, en cohérence, leurs idées et leurs vies. Leur engagement - l’écriture, la poésie, l’aventure des Cahiers pour Péguy, l’action politique à la Chambre et sur le terrain pour Jaurès - s’est accompagné, chez l’un comme chez l’autre, d’une grande droiture dans leur vie privée, dans leurs relations à leur femme et à leur famille. Aucune bassesse, aucune lâcheté dans leur rapport à l’argent, au pouvoir. Ce sont des trajectoires exemplaires, dans des circonstances, hélas, tragiques. Péguy m’était déjà proche par le théâtre, j’avais trouvé lumineuse la mise en scène de Jeanne par Christian Schiaretti, j’avais vu ce spectacle plusieurs fois.





Amitié Charles Péguy : Comment avez-vous construit votre texte pour faire ainsi "dialoguer" les deux hommes ?



Evelyne Loew : Dès le début j’ai su que je ne voulais pas faire semblant de restituer des dialogues ou des échanges qui n’ont pas eu lieu dans la réalité. Cela aurait été vraiment par trop immodeste et cela aurait induit en erreur les spectateurs qui ne connaissent pas l’histoire et n’ont pas le moyen de départager le vrai du faux. J’ai choisi de passer par deux personnages d’aujourd’hui, deux amis, dont l’un est fervent admirateur de Péguy, l’autre de Jaurès, et qui dialoguent. Ils se prennent au jeu par moments. En tous cas revivent les ferveurs et les conflits des cinq ans qui précèdent la guerre de 14. Pour les comédiens c’est un exercice difficile d’entrée et sortie dans les personnages, aujourd’hui, hier. Mais il me semble qu’avec l’aide de la mise en scène, pour le spectateur, ce parti pris de non-reconstitution donne plus de clarté et permet plus de précision dans le questionnement.





Amitié Charles Péguy : En cette année de centenaire (assassinat de Jaurès, mort de Péguy à la guerre), comment se prémunir d'une simplification abusive de la pensée de ces deux figures ?



Evelyne Loew : C’est vraiment la bonne question ! Comment ? Pour ma part j’ai essayé de rendre la complexité de leurs pensées dans le contexte d’avant 1914. Il faut bien se dire que Péguy, tout comme Jaurès, après 14 ont été utilisés, dévoyés, ont servi de drapeaux, de cautions, ils ont dû souvent se retourner dans leurs tombes ! Mais leurs écrits restent dans leur merveilleuse humanité et pertinence. Il faudrait donc, tout simplement si on peut dire, obtenir à la faveur de cette année commémorative, que des collections populaires de poche rendent accessibles leurs écrits, à l’un comme à l’autre...





Propos recueillis par Olivier Péguy