Yann Moix et son "copain" Péguy
Le 09/08/2014
Dans son dernier numéro, le Bulletin de l’Amitié Charles Péguy donne la parole à Yann Moix (voir le sommaire ici). Né en 1968, élevé à Orléans, lauréat en 2013 du prix Renaudot, Moix ne fait pas mystère de son attachement à la pensée de Charles Péguy. Damien Le Guay l'a interrogé en septembre 2012. L'entretien complet est à lire dans le Bulletin de l’Amitié Charles Péguy. En voici quelques extraits qui éclairent sur la rencontre entre lui (Péguy) et Moix.
« Débutons par la géographie. Les lieux sont essentiels chez Péguy. Souvenons-nous de la Beauce, des promenades sur le plateau de Saclay avec Daniel Halévy. Ajoutons que les noms, chez lui, dans son œuvre, me parlent. Ingré, Jargeau, Cléry-Saint-André, Meung-sur-Loire, Vendôme... J'ai été élevé dans ces lieux-là. Pour les lecteurs, ce ne sont que des noms. Pour moi, ce sont des noms d'une extrême concrétude. Je vois ces lieux.
Ensuite, contrairement à ce qu'on pourrait croire, Orléans n'incite pas (et n'incitait pas) à lire Péguy. Je suis de ce point de vue-là un autodidacte. Mais surtout, un jour, une professeur de français, en classe de quatrième met, dans la marge d'un de mes devoirs:"illisible : arrêtez ces répétitions. On dirait du Péguy". Je n'en avais jamais lu une ligne. Cette manière d'écrire de Péguy, par des répétitions qui n'en sont pas, m'était "naturelle". Il ne s'agit pas de répétitions mais bien plutôt d'une écriture hélicoïdale, spirale, qui ne revient jamais au point de départ. Elle se rafraîchit en direct; elle se renouvelle en même temps qu'elle se fait. C'est cette réputation d'illisibilité qui m'a tout de suite attiré. Quand on est adolescent on va vers ce qui est interdit. Cet interdit n'était pas moral mais littéraire. Péguy était jugé comme littérairement illisible. C'est la raison pour laquelle, à quinze ans, j'ai été voir du côté de Péguy.
(…)
J'ai été à la bibliothèque d'Orléans, salle Georges Bataille, et découvre que tout existe dans l'édition Gallimard. (…) Je débute donc par les Tapisseries, puis lit toute sa poésie en continu, d'une manière presque obsessionnelle. Je venais de terminer l'intégrale de œuvres de Gide et là, entre 15 et 16 ans, je lis Péguy, Péguy, Péguy. Les poèmes, mais aussi le reste.
(...)
Tout de suite, je comprends cette évidence : Péguy n'écrit pas, il me parle. Il me parle, il te parle, il nous parle. Il abolit la frontière entre son génie et le lecteur. Tu deviens son camarade, son copain.
(...)
En 1993, à Science-Po, à paris, on me demande de faire exposé à l'occasion de la sortie, en poche, de Notre jeunesse. Là je lis pour la première fois ce livre. Ce fut un choc absolu. Je sais alors qu'il va devenir mon écrivain préféré et ce sans les mauvaises raisons du début – celles de l'adolescent fasciné par les interdits. Je prends conscience que sa puissance de feu est non seulement esthétique, ce que je savais déjà, mais aussi intellectuelle. Je vois sa capacité d'aller en profondeur, à passer d'une strate à l'autre, à toujours creuser. D'abord, me dis-je "il pense comme moi", puis j'ajoute "il pense ce que je n'ai pas réussi à penser", et enfin je suis certain qu'il réinvente la manière de penser. »
Propos recueillis par Damien Le Guay