Discours de Michel Péguy
Le 08/09/2014
Michel est un petit-fils de Charles Péguy. Il est le mandataire de la famille Péguy – il y a à ce jour une centaine de descendants vivants de l’écrivain. Comme tous les ans, depuis tant d’années, Michel Péguy était présent pour la cérémonie d’hommage à Villeroy. Il avait demandé à un des ses fils de lire son discours devant la Grande Tombe. En voici la copie.
Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses,
Mesdames Messieurs,
En ce lieu, hautement symbolique, lieu de mémoire et lieu d’histoire, nous sommes venus, proches ou lointains, adresser à tous ces hommes « tués à l’ennemi » notre hommage respectueux et fidèle.
En cette année du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, il est utile de se rappeler l’état d’esprit qui prévalait à l’époque. Et c’est l’historien Jean-Pierre Rioux qui le résume. Pour Péguy, comme pour de nombreux Français, « La France, écrit-il, est non seulement terre de la liberté et de l’émancipation mais un foyer ardent de sentiment patriotique à la fois idéologique et organique, mystique et vital. »
Si en août 1914 les troupes ont été mobilisées pour ce qui devait être la dernière des guerres, hélas ! l’histoire ne leur a pas donné raison... Hélas ! Il faudra un deuxième conflit mondial déclenché en 1939 par la folie de quelques dirigeants et il faudra même attendre cinq ans plus tard pour que la paix revienne dans notre coin du monde.
C’est par l’intelligence des générations suivantes qu’il s’agisse d’hommes et de femmes politiques, d’intellectuels, ou d’humanistes déterminés pour que, de ces tombes ennemies naissent un armistice, puis une paix durable à dimension européenne. Nous voulons cette paix, pour aujourd’hui, et pour demain.
En ce jour, je prends la parole comme mandataire de la famille Péguy, moi, Michel, fils de Pierre venu avec tous les miens,
au nom de ma sœur Geneviève et de tous les siens,
au nom de ma tante Suzy Péguy belle-fille de l’écrivain, épouse de Charles-Pierre, ici présente, entourés de ses enfants et petits-enfants,
au nom de la famille Pignon, les trois petits fils de Marcel et leurs familles,
Nous, héritiers de sang, nous nous exprimons d’une même voix pour signifier notre fierté d’être ici à Villeroy, notre fierté de nous inscrire dans la filiation de ce grand écrivain, intellectuel et homme du peuple. Nous saluons l’honneur qui lui est ici rendu.
Mais nous ne sommes pas seuls à recevoir pour notre ancêtre le même honneur de la nation. Car tous les descendants des familles dont les noms sont inscrits sur cette stèle, souvent originaires des communes environnantes, et pour d’autres venant de plus loin (notamment du Maroc) méritent d’être, comme nous, les témoins de la même distinction et de la même reconnaissance pour les leurs tombés en ces premiers jours de septembre 1914.
Le lieutenant Charles Péguy est mort debout à la tête de ses hommes. Il a été enterré avec eux. Et il restera avec eux. Sa place est ici dans ce pays de Brie, dans cette terre charnelle, plus que dans le marbre froid du Panthéon à Paris.
Péguy aurait pu, au fil des ans, disparaître dans les oubliettes de l’Histoire.
Il aurait pu, dans sa tombe, constater – impuissant et rageur – les interprétations fallacieuses de son œuvre, les récupérations partisanes de sa pensée.
Or, une association qui porte le nom de l’"Amitié Charles Péguy" a vu le jour dans les années 40, justement pour éviter ces écueils. Qu’il me soit ici permis de dire toute ma reconnaissance et celle de ma famille à cette "Amitié Charles Péguy".
D’éminents intellectuels ont, depuis toutes ces années, œuvré inlassablement à faire découvrir la vie de Charles Péguy, à comprendre et faire comprendre sa pensée.
Je ne peux malheureusement pas citer tous ces grands péguystes, universitaires et chercheurs, écrivains et artistes. Permettez-moi néanmoins, en ce lieu, en ce jour, de mentionner quelques noms :
- Auguste Martin, le fondateur de l’Amitié Charles Péguy
- Roger Secrétain, à qui l’on doit la création dans les années 60 du Centre Charles Péguy à Orléans, le lieu qui rassemble la plus grande documentation sur Péguy.
- Jean Bastaire, qui fut pour beaucoup d’entre nous, un éclaireur dans l’œuvre de Péguy, et pour moi en particulier un ami proche.
- Robert Burac, maître d’œuvre de l’édition des Œuvres complètes en prose dans la ‘Bibliothèque de La Pléiade’ aux éditions GAllimard.
- Et Claire Daudin, actuelle présidente de l’Amitié Charles Péguy, qui a su mobiliser son intelligence, sa finesse et sa persévérance pour diriger l’édition des Œuvres poétiques et dramatiques complètes dans la ‘Bibliothèque de La Pléiade’.
La famille Péguy et l’Amitié Charles Péguy doivent beaucoup à ces brillantes personnalités.
Ce qui nous est cher, c’est aussi de voir, de savoir que la pensée de Péguy a inspiré et continue d’inspirer des lecteurs anonymes, en France et dans le monde.
Nous tous, d’une grande diversité, admirateurs de ce "Péguy inclassable"», réunis dans une même famille d’esprit, nous sommes tous des héritiers vivants de ce « quinzainier qui parle d’éternité », selon la magnifique expression de Géraldi Leroy.
Que ce centenaire soit, plus que jamais, l’occasion d’entendre ce que Péguy nous dit du temps présent et de l’éternité.
(Silence)
Maintenant j’aimerai m’adresser à toi directement, mon cher grand-père,
Charles,
Tu as porté très haut l’exigence de courage dans l’engagement au service de la vérité et de la justice. Tu as incarné une forme de liberté de pensée affranchie de toute compromission et de tout conformisme. Ce n’est pas toujours simple d’inscrire nos pas dans les tiens. Le chemin que tu as tracé est noble et exigeant. Nous voyons dans ton parcours, ta personnalité et ton œuvre, des jalons qui peuvent donner sens à notre vie… notre vie charnelle et notre vie spirituelle, les deux sont indissociables – tu l’as si bien écrit.
Aujourd’hui, nous, tes descendants, portons un épi de blé, comme d’autres brandissent des étendards.
Notre filiation, nous en sommes fiers, pour hier, aujourd’hui et demain.
« Heureux les épis murs et les blés moissonnés. »
Michel Péguy, Villeroy, le 7 septembre 2014
(Photo par Véronique Péguy)