La nouvelle "Pléiade" vue par Claire Daudin

Le 23/09/2014

Image : Claire Daudin, présidente de l'Amitié Charles Péguy, a dirigé la réédition des Œuvres poétiques et dramatiques de Péguy dans la collection "Bibliothèque de la Pléiade". Dans une interview publiée en août dernier dans la revue Europe, elle est revenue sur ce travail qui a pris plusieurs années. Voici quelques extraits (les intertitres ont été ajoutés par nos soins).





« Le centenaire de la mort de Péguy en 2014 représente une réelle opportunité: au moment où vont se multiplier manifestations commémoratives et publications, il est bon que le texte de Péguy soit mis à l'honneur, et la possibilité donnée aux lecteurs de le lire dans les meilleures conditions.



La poésie de Péguy



Qu'est-ce que la poésie de Péguy ? Quels textes désigne-t-on quand on évoque ses "œuvres poétiques et dramatiques" ? Il suffit d'avoir fréquenté un peu les écrits de l'auteur pour se rendre compte qu'ils n'entrent dans aucune catégorie. "Entretiens", "dialogues", "situations", "notes", "mystères", "tapisseries", les titres que Péguy leur octroie témoignent de son désir d'outrepasser les conventions littéraires, de même qu'il franchit allègrement les frontières entre les disciplines, faisant à la fois œuvre de poète, de philosophe, de polémistes contre "les spécialistes du monde moderne". Nous avions bien conscience que la dimension éminemment poétique et dramatique de l'écriture de Péguy excédait les textes rassemblés dans ce volume. De son vivant, Péguy a publié un recueil de Morceaux choisis de ses Œuvres poétiques, dans lequel il a rassemblé ses poèmes en alexandrins, les plus longs sous formes d'extraits. Le critère du vers, et du vers régulier, était déterminant pour lui. Conception passéiste de la poésie ? On pourrait le croire. Conception classique, transmise par l'apprentissage des humanités, qui va de pair avec une créativité et une originalité sans pareilles. Péguy récuse les romantiques; de Victor Hugo, il ne retient que les épopées. Il ne fait pas de la poésie le réceptacle des épanchements du moi, et le langage reste pour lui le vecteur d'un sens, d'une parole adressée à autrui. Pour autant, il n'écrit pas à contre-courant de l'histoire littéraire, mais dans le fil d'une tradition qu'il a reçue de l'école, où Sophocle, Villon, Corneille, Hugo sont ses maîtres. Il ne les imite pas, mais s'en nourrit, et ses textes sont truffés de références, d'emprunts, de commentaires de leurs œuvres. Il devient créateur quand il façonne un langage poétique accordé à sa pensée. Pensée en mouvement, pensée qui entraîne et qui veut "faire peuple". Que ce soit dans le vers libre des Mystères ou dans l'alexandrin des Tapisseries, Péguy processionne, il fait cortège; il impulse un rythme et réalise dans le poème ce qu'il a tenté dans sa revue  : une harmonie qui intègre les voix diverses de la création hors des violences et des salissures du combat politique.



L'équipe de travail



Chacun a pu apporter à l'entreprise ses qualités propres, et si le volume a sa cohérence, il me semble que l'appareil critique peut se prévaloir de sensibilités diverses qui en font aussi la richesse. Les œuvres ont été réparties entre nous selon les goûts de chacun (…). Romain Vaissermann est remonté à la source du long compagnonnage de Péguy avec Jeanne d'Arc, depuis son enfance orléanaise jusqu'aux heures passées à lire les minutes du procès de la Pucelle, dont Péguy devient un véritable expert, même s'il choisit de lui consacrer une œuvre littéraire qui dépasse l'approche historique. Il a mis aussi ses nombreuses connaissances et son goût du détail au service de l'élucidation des "poèmes courts" de Péguy, pétris de références littéraires et mythologiques. Pauline Bruley a apporté sa sensibilité et sa rigueur de stylisticienne au commentaire d'Eve et de la Tapisserie de Notre-Dame, ces fleurons de la poésie de Péguy. (…) Jérôme Roger, spécialiste de poésie contemporaine et particulièrement d'Henri Michaux, épris de l'œuvre de Péguy, (est) passé sans difficulté d'Un barbare en Asie à la Chanson du roi Dagobert et aux Ballades du cœur qui a tant battu, ces textes méconnus, que Péguy n'édita pas (sauf la "Première chansonnée" du Roi Dagobert), et dans lesquelles se forge une poétique qui n'a rien à envier aux plus grands novateurs du siècle. Quant à moi, je me suis attelée aux Mystères, ces chefs d'œuvre, pour découvrir au sein de leur "prose musicale" et de leurs "harmoniques", les échos des conflits et des crises qui traversent la vie et l'œuvre de Péguy, signe que le poète n'est pas "l'autre" du polémiste, mais bien "le même". »



Claire Daudin



Soyez le premier a donner votre avis.