La maison où Charles Péguy a vécu à Gometz le Châtel (Essonne) devrait être prochainement démolie pour être remplacée par un ensemble de logements sociaux. Cette perspective suscite des réactions d'indignation de la part d'amateurs de Charles Péguy, dans cette commune de banlieue parisienne, et au-delà. Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il une alternative à la destruction ? Enquête.

Charles Péguy est tombé en septembre 1914. Cent ans après, c'est sa maison qui risque fort de connaître le même sort. L'écrivain a vécu dans cette petite demeure située route de Chartres, entre 1899 et 1901, avec sa jeune épouse et leur bébé Marcel, avant de s'installer à Orsay. L'édifice a traversé sans histoire le XXème siècle. En 2007, lorsque la propriétaire d'alors est décédée, la maison a été préemptée par la commune à la demande de l'association Pour Gometz. Certains imaginaient qu'elle soit transformée en musée...

Lucie Sellem est l'actuelle maire de Gometz, élue à ce poste en mars 2014. « Après 2008 (et donc dans le mandat précédent), explique-t-elle, la maison a été rapidement rétrocédée par la commune à l'EPFIF (Établissement Public Foncier d'Ile-de-France) avec lequel elle avait signé une convention de portage financier des opérations en vue de construire des logements sociaux. A partir de ce moment, la commune n'en a plus été propriétaire, la maison a été murée. L'EPFIF a alors choisi, en accord avec l'équipe municipale précédente, de regrouper ce projet avec 2 autres parcelles rachetées par eux (une sur des terres agricoles et une sur une zone humide) pour réaliser un projet de 60 logements sociaux financièrement liés (voir ici). L'EPFIF a ensuite revendu les 3 parcelles au groupe Essonne Habitat, bailleur social, qui en est donc propriétaire. Le permis de démolition de la maison Péguy ainsi que les 3 permis de construire ont été accordés et ne font pas l'objet de recours. »

« La municipalité s'était engagée à ne pas démolir cette maison, rappelle Hélène Buquet, secrétaire de l'association Pour Gometz. Il était question de la rénover pour y réaliser de petites unités d’habitation, et de construire des logements sociaux neufs sur la parcelle de terrain située à l’arrière de cette maison. Finalement, le promoteur retenu, Essonne Habitat, a rejeté cette proposition, en prévoyant de détruire la maison pour construire à cet emplacement des logements sociaux neufs ». « Il n'y a pourtant pas d'incompatibilité entre la conservation et la rénovation de cette maison, et la construction de logements sociaux, insiste-t-elle. Cela permettrait qu’elle reste un lieu de mémoire, dans ce village qui n’a pas été marqué par d’autres personnalités que ce grand écrivain ». Et de regretter que la municipalité n'ait pas fait davantage pression sur le promoteur pour qu'il modifie son projet.

Réponse de la maire de Gometz le Châtel, Lucie Sellem : « nous n'avons plus la maîtrise foncière de ce dossier et nous n'avons pas de levier légal pour revenir sur ces décisions prises au mandat précédent, sauf à racheter l'ensemble des parcelles et à indemniser le bailleur des études déjà engagées (estimations entre 1,5 et 2 millions d'euros), ce que notre petite commune ne peut se permettre. »

Il y a deux ans, des démarches ont été engagées par l'association Pour Gometz et par L'Amitié Charles Péguy auprès de l'Architecte des Bâtiments de France. Mais ces démarches n'ont pas abouti au dépôt d'un recours gracieux, entre autres parce que l'Amitié Charles Péguy n'a pas souhaité s'impliquer davantage dans ce dossier.

- Faire ça l'année du centenaire -

La perspective d'un classement de la maison au titre des monuments historiques a aussi été un temps envisagée, mais n'a finalement pas été retenue. « Vus les critères requis (architecture remarquable, ou éléments d'histoire de l'art remarquables), la maison ne relevait pas d'un tel classement, rapporte la maire. Ce qui nous a, par la suite, été confirmé par l'Architecte des Bâtiments de France : les aspects uniquement culturels ("… a vécu dans cette maison") ne sont plus des critères de classement. »

Ces derniers mois, la mobilisation contre la démolition de la maison Péguy s'est accentuée, les médias ont été alertés, ce qui a donné lieu à plusieurs reportages (Le Parisien, Le Républicain, France 3...): Une pétition a même été lancée sur internet (voir ici). De nombreuses voix s'élèvent non seulement contre la perspective de la démolition, mais aussi contre le fait que cela se fasse l'année même du centenaire de la mort de Péguy...



« Nous avons alerté les parlementaires (Conseiller Général, Députée) sur la situation et son caractère d’urgence puisque la destruction est prévue pour la deuxième quinzaine du mois de novembre », ajoute Hélène Buquet.

« Pour ma part, commente la maire de Gometz, je pense que la bataille pour garder cette maison a été perdue il y a 7 ans, au moment où elle a été murée et revendue à l'EPFIF, qui l'a laissée se dégrader. Nous aurions du, à l'époque, insister pour qu'un petit bailleur social "type associatif" reprenne cette maison... » Mme Sellem propose qu'à l'avenir, une plaque évoquant le passage de Charles Péguy dans la commune soit posée (la plaque qui avait été installée en 2000 à l'extérieur de la propriété a été enlevée...) et que la future résidence porte le nom de "Charles Péguy"...



Olivier Péguy