"Eve", lecture intégrale
Le 11/03/2015
Ce samedi 14 mars, puis le samedi 21, le public aura l’occasion d’écouter l’œuvre "Eve" de Charles Péguy dans son intégralité à l’espace Bernanos à Paris (informations pratiques : voir ici). Et deux après-midi pleines sont bien nécessaires pour lire les 1911 quatrains. Plusieurs comédiens vont ainsi se relayer pour cette lecture en continu d’un seul tenant. A l’origine de ce projet, Olivier Moulin-Roussel, président d'honneur de l'Espace Bernanos. Il a accepté de nous parler de la genèse de ce spectacle.
Eve de Charles Péguy ? Qu’est-ce pour moi ? Qu’est-ce pour nous ? Pourquoi risquer ensemble cette lecture publique à l’intégrale des 1911 quatrains ?
Une réponse : la fidélité, celle qui s’inscrit au fronton du poème, Fidelis Fideli, une fidélité qui se décline aussi en confiance et en foi, d’après le nom d’origine fides.
Fidélité à l’œuvre dans son entiéreté, dans son intégrité insigne, en respectant toute son identité.
Péguy l’a écrite en 6 mois d’affilé d’un seul tenant, d’un seul tirant et sans tirets, sans jointures ni numérotation comme la Bible à ses origines. Une lecture donc qui ne se prête pas à coupures, comme on le fait trop souvent et trop souvent à propos de la personne de Péguy lui-même. Quand on aime on ne choisit pas.
C’est ainsi que, sans hésiter et en toute fidélité, les comédiens prendront le relais les uns des autres, à voix haute et avec leur propre intelligence, mais en l’état brut, sans accommodements ni effets spéciaux, déroulant en continu ces alexandrins solidement composés dans leur élan rituel et processionnel comme en vertu d’une élémentaire nécessité.
Quand au fond, l’œuvre s’inscrit dans une fidélité irréfragable à l’aventure terrestre, en hommage à Eve, matrice de l’humanité, notre mère à tous. Nous sommes tous frères et plus encore. Nous sommes de la même chair, du même sang, de la même sueur. Nous faisons cœur avec le Christ et nous avons son sang en partage.
C’est ainsi qu’en dépit du jardin perdu et par delà la déréliction du monde moderne, à laquelle nous avons mis la main et dont nous avons à répondre, s’ouvre une autre chemin, celui de la Communion des Saints, en vertu d’une théologie patristique qui replace aujourd’hui le Christ au cœur et au sommet de l’évolution. Teilhard de Chardin ne s’y était pas trompé, comme le rapporte Pauline Bruley dans ses commentaires. Dans une lettre écrite dès 1917, il salue dans Eve « le berceau charnel du Christ » et « l’admirable personnification des liens nécessaires et vivants qui rattachent indissolublement notre faisceau humain aux laborieuses et patientes démarches de la nature ».
Tant il est vrai que nous avons reçu cette assurance, très joyeuse, que les uns et les autres, tous ensemble, un jour ou l’autre, nous serons accueillis aux Portes du Royaume. Et cela vaut de la nuit des temps à la fin des temps, comme en témoigne la grande aventure arrivée à la terre.
Quand au 3ème jour du Triduum, il sera appelé à valider de plusieurs façon ce que vaut Eve et comment le faire valoir. Avec Michaël Londsdale, Jean-Pierre Sueur et les comédiens eux-mêmes, dire jusqu’où la magie de l’écoute peut-elle magnifier la magie du texte, s’agissant d’une œuvre essentiellement vocale et polyphonique.
C’est aussi ce qu’aura valu au final l’aventure un peu folle d’une lecture intégrale. A ce jour, elle n’est pas gagnée.
Puissions-nous apporter à la mémoire de Péguy tant soit peu de cette reconnaissance qui lui aura tant manqué.
Olivier Moulin-Roussel