Un lecteur de Péguy : Jean-Paul Lucet
Le 10/01/2013
Jean-Paul Lucet est un homme de théâtre, comédien et metteur en scène français. Durant sa riche carrière, il a notamment signé une adaptation du « Mystère de la Charité de Jeanne d'Arc » de Charles Péguy. Ce spectacle a été donné entre autres à Castel Gandolfo (Italie) devant le pape Jean-Paul II en 1988 puis devant le pape Benoît XVI en 2006. Cette adaptation du « Mystère » vient de paraître aux éditions l'Oeil du Prince (éditions théâtrales). De l'aveu même de Jean-Paul Lucet, cette oeuvre de Péguy a joué et joue un rôle central dans sa vie. Interview à coeur ouvert.
Amitié Charles Péguy : Comment en êtes-vous arrivé à Péguy ?
Jean-Paul Lucet : Début des années 1970… A cette époque, j’étais élève au Conservatoire de Paris, dans la classe de Lise Delamare. Parallèlement, je suivais les cours de Jean-Laurent Cochet, au théâtre Edouard VII. Nous étions nombreux, alors, sans doute insatisfaits de l’enseignement trop académique qui nous était donné, à rechercher « ailleurs » une approche différente, moins formelle, pour ne pas dire moins conventionnelle des textes classiques. Et tout ce que disait Jean-Laurent, à propos des oeuvres, des personnages, des situations était tout à la fois inattendu, original, nouveau, insolite, mais toujours juste, évident, légitime. Et nous avions la confiante sensation d’une vraie continuité puisque ce qui nous était transmis l’était à la lumière de l’enseignement reçu des « grands anciens » comme il disait : Louis Jouvet, René Simon, Jean Meyer… Si je me permets d’insister sur cette démarche, sur notre état d’esprit, c’est qu’ils nous rapprochent inévitablement de Charles Péguy. Ce révolutionnaire, l’homme du neuf, de la résistance, contre l’ordre établi, mais puisant son énergie, sa conviction, l’engagement de tout son être, dans la grande Tradition Spirituelle qui est l’exact contraire de la convention. Et c’est lors d’une de ces séances que j’entendis une scène de la première « Jeanne d’Arc », l’une des toutes premières scènes entre Jeannette et Hauviette : « Bonjour Hauviette, quelles sont les nouvelles ce matin ? » Et ce fut immédiatement le choc , oui le choc, et ce n’est pas le plaisir romantique d’employer de grands mots… Pendant près d’un quart d’heure, ce fut un émerveillement de chaque seconde : clarté, densité, émotion, élégance, humour, légèreté, simplicité, tout, tout était là, présent, dans les personnages ! Le style, l’écriture, et je ne parle pas de la musicalité qui confortait ce plaisir tangible. C’était donc cela, Charles Péguy ? Oubliés les « Adieux à la Meuse », trop souvent rabâchés, à tort, maladroitement ; écarté le célèbre « Heureux ceux qui sont morts », passage obligé pour tous les garçons, dans les classes de Diction… Je découvrais un auteur, désormais familier, une « parole » que j’attendais, sans le savoir, « comme on attend les navires dans les années de sécheresse ».
Mais pour lire, dans son intégralité, ce texte, il fallait acheter l’œuvre complète de Péguy publiée dans la prestigieuse collection de la Pléiade, chez Gallimard. Et c’est en parcourant cette bible que j’ai découvert le « Mystère ». Je n’ai eu, alors, qu’un seul et unique désir : transmettre au plus grand nombre cette œuvre quasi surnaturelle…
Certes, je retrouvais dans ce chef d’œuvre la même simplicité, ce langage quotidien immédiat . Mais, avec cette fois,(cette foi…), métamorphose fondamentale au regard de la première Jeanne, l’affirmation spirituelle de Péguy. Une spiritualité incarnée qui trouve sa flamboyante réalisation, entre autres, dans le récit de la « Passion ». Ce mystère de l’incarnation qui nous conduit au mystère de l’Espérance. Non pas une espérance naïve liée au manque d’expérience, mais celle qui résulte d’un retournement radical, faisant passer l’homme de l’angoisse la plus absolue à l’abandon le plus confiant.
Je trouvais, là, dans ces propos une réponse à quasiment toutes mes interrogations, mes oppositions, mes résistances, mes confusions, mes désordres… Et ce « Mystère », alors, m’ apparaissait comme une riche corne d’abondance dans laquelle nous était offerte la possibilité de puiser quelques secours, moi qui vivais écartelé entre une aspiration tournée vers le Ciel et les Etoiles, et une réalité pareille à des semelles de plomb qui me tiraient irrésistiblement vers la terre sombre. Comment accomplir cette dualité ? En écoutant Charles Péguy, en se mettant à son service… Et comme je savais, bien sûr, que je n’étais pas le seul à souffrir de ces déchirements, j’ai éprouvé alors comme une nécessité de faire partager cette lumière « à toutes celles et à tous ceux » qui voudraient bien l’écouter. Elle nous offrait la possibilité d’une régénération, d’un perfectionnement, de rassembler ce qui était épars. Le meilleur de soi semblait pouvoir devenir, enfin, utile…
Amitié Charles Péguy : Qu’est-ce qui vous plaît chez Péguy, dans sa vie, dans sa pensée, dans son œuvre ?
Jean-Paul Lucet : Qu’il est difficile de répondre à cette question, tant de raisons ayant placé Charles Péguy au centre de mon existence. Ce qui prime sur tout, ce que je ressens avant tout, c’est l’harmonie totale entre l’homme et son œuvre, entre sa vie et ses écrits. Cette fidélité de chaque seconde à sa propre nature, à son être ! Cette permanence, ce courage, cette opiniâtreté, indépendamment des conséquences personnelles, affectives, sociales ! Cette exigence, alors, s’inscrit comme l’Etoile à laquelle les bergers se sont abandonnés, et à laquelle, plus modestement, nous tentons d’être fidèles… Et une fois placé au sommet l’homme, il faut revenir à l’écrivain, à son style pour lesquels ma dévotion est totale. Car ce « Mystère » m’est apparu, immédiatement, comme un chef d’œuvre d’art populaire : c’est-à-dire d’un art dégagé de toute rhétorique, de toute tradition savante, où s’exprime librement, à travers l’artiste, l’âme de son peuple ; un art de communion qui rejoint celui du Moyen-âge : l’art des cathédrales et des mystères : « Les maçons de Notre-Dame sont mes grands-pères directs… » Tout est simple, vivant, pas de déclamation, aucun effet oratoire ! Loin de l’anthologie littéraire, nous sommes charnellement au cœur du combat entre la résistance et l’abandon… Les personnages de Péguy sont des êtres de chair et d’os, des personnages de la terre, généreux, qui parlent un langage direct, simple, vrai, puisé aux sources de la glèbe. Nous sommes bien en présence d’êtres qui respirent, aiment, souffrent, rient, s’emportent, se disputent et s’invectivent… Et nous en arrivons, immanquablement, à la question des répétitions. Que dire qui n’ai déjà été affirmé ? Je ne peux m’empêcher de reprendre l’image du laboureur. Comme le paysan creuse son sillon, passe et repasse la charrue ! Rien ne donne mieux, en effet, l’image de l’écriture de Charles Péguy que le travail du laboureur avançant lentement, creusant profond, retournant la terre, allant droit, puis revenant précisant la strie… Mais là encore nous sommes dans le domaine des intentions, dans le domaine de la théorie. Comment, pour nous, hommes de transmission, comment résoudre ce problème de l’incarnation ?
Il faut d’abord comprendre que le style de Péguy n’est pas du pointillisme, ni de la complaisance, ni de l’affectation ! Aujourd’hui, avec nos esprits soi-disant si vifs, on ne supporte plus d’entendre la moindre répétition. A part les spécialistes et les inconditionnels de Péguy, le public n’a que trop tendance à se détourner d’un texte qui semble se perdre dans ses propres méandres. Or, il est absolument indispensable que les spectateurs soient touchés par le message, d’une lucide profondeur, qu’ils soient sensibles à l’écriture, d’une musicalité spontanée. Et avec les interprètes, alors, il faut éviter, dans un premier temps, deux écueils : le premier est l’abandon à la forme, se laisser porter, passivement, au lyrisme, tels des moines tibétains proclamant leurs mantras, et l’autre écueil, c’est la volonté de "casser" résolument ce langage, de le "quotidianniser" pour bien montrer son modernisme…
Une fois ces deux impasses mises de coté, il faut faire confiance à la complète sincérité de l’interprète. Bien éprouver qu’il n’y a pas deux répétitions identiques. Parfois, elles sont une sorte de musique, oui, comme une scansion, qui rythme la phrase. Reportons-nous alors à Paul Valéry : « La diction entraîne le sentiment ». Et à d’autres moments, elles sont là pour préciser la pensée, pour aller au plus proche de l’intention du poète.
Ainsi, les comédiennes doivent-elles rester très vigilantes, d’une extrême vérité, pour transmettre chaque nature de répétitions. Elles doivent se rappeler également que, dans ce texte, et c’est ce qui en fait sa puissance, il n’y a aucune démonstration, mais de l’expression pure : rien du domaine de la théorie, mais que du vécu… Cela demande, pour l’interprète, humilité, intelligence, virtuosité, et sympathie totale avec l’écrivain, autant de vertus qui sont la parfaite marque du style de Charles Péguy.
Amitié Charles Péguy : Pour vous, qu’est-ce qui rend la pensée de Péguy d’actualité ?
Jean-Paul Lucet : S’il m’est difficile de parler de l’actualité de la pensée de Charles Péguy à travers son œuvre entière, en revanche, m’en tenant au seul « Mystère de la Charité », rarement l’expression « actualité d’un texte » a été aussi juste ! Ce Mystère, écrit en 1912, n’a pas pris l’ombre d’une ride. Il correspond en tout point à ce que nous vivons aujourd’hui, à nos interrogations, nos révoltes, nos abandons, nos résignations… Et à propos du style, il est si familier, bon enfant, direct, que lui aussi semble tout droit sorti de notre langage actuel. Et l’enchevêtrement des répétitions et des incidentes, ajoutant chaque fois une nuance, sont là pour pénétrer nos consciences distraites, préoccupées, dispersées… Pour dire alors la pertinente nécessité de notre Poète, il faut revenir à la dédicace qui nous donne la clef : il n’est pas nécessaire d’être croyant ni mystique pour entrer dans ce mystère-là. On y tient la réalité rugueuse, celle de la terre, du vivre. Nous sommes tous confrontés à l’épaisseur du mal. « A toutes celles et à tous ceux qui seront morts pour tâcher de porter remède au mal universel. » Et chacune et chacun de nous a le désir, dans la mesure de ses moyens, de tenter de soulager la misère qui nous entoure.
Et Charles Péguy, lui-même, savait-il qu’il mourrait sur un champ de bataille, lui, l’un des premiers officiers, à la tête de son unité, lors de la "Der des der", le 5 septembre 1914 ? Notre poète avait la subtile intuition de la Destinée humaine. Ne devrions-nous pas, alors puiser sans compter, dans ce généreux héritage, où la Réponse espérée est là, cachée, enfouie, qui attend de nous, comme disait Rilke, de se montrer beau et courageux. Alors, tout ce qui nous apparaît, aujourd’hui encore, lointain, voire même étranger, nous deviendra familier et fidèle…
Propos recueillis par Olivier Péguy
A lire : «Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc » de Charles Péguy – Adaptation de Jean-Paul Lucet, Editions l'Oeil du Prince.
Par : thuilier gisele
Note :
Titre : jeanne d'arc
Avis : la pièce de théatre interprétee à pau le 12/03/2015
est une page d'évangile que les hommes et les
femmes de l'église d'aujourd'hui seraient inspirés
de mettre en musique dans la vie de chaque jour.
bravo, bravo, bravo
Par : thuilier gisele
Note :
Titre : jeanne d'arc
Avis : la pièce de théatre interprétee à pau le 12/03/2015
est une page d'évangile que les hommes et les
femmes de l'église d'aujourd'hui seraient inspirés
de mettre en musique dans la vie de chaque jour.
bravo, bravo, bravo