"Les Épis mûrs" - compte rendu de lecture
Le 28/01/2013
Il y a quelques mois, Jean-Claude Demory a fait paraître un livre intitulé "Les Épis mûrs, Récit sur la mort de Charles Péguy (août-septembre 1914)" (Editions Fiacre). Nous avons publié une interview de l’auteur courant décembre (voir ici). Voici à présent le compte rendu de lecture de cet ouvrage.
À en croire son intitulé, le livre se veut une relation des dernières semaines de la vie de Péguy depuis son départ à la guerre jusqu'à sa mort à Villeroy. En fait, son auteur lui a assigné une ambition plus globale. Le statut de l'ouvrage est ainsi quelque peu ambigu. D'un côté, il apparaît comme une biographie attachée à collecter des faits authentiques. De l'autre, il recourt à des procédés propres à l'écriture romanesque. Un narrateur omniscient énonce d'un point de vue supérieur le détail des événements et intervient volontiers pour en donner une interprétation (la stratégie adoptée au début de la guerre est par exemple soumise à appréciation critique). Il s'introduit à l'intérieur de la conscience des personnages et prétend en donner les paroles recueillies dans des dialogues qu'il imagine et reproduit en langage populaire. Dans l'ensemble, le récit est bien mené et reproduit de manière plausible et très vivante les épisodes et l'ambiance de cette dramatique et épuisante campagne de la Lorraine à la Marne. De fréquents retours en arrière rattachés de manière parfois artificielle à la trame principale de la narration relancent l'intérêt du lecteur. Ils ont surtout pour but d'apporter, au-delà du projet annoncé par le titre, une vue plus générale sur la personnalité et la carrière de l'auteur de Notre patrie. En ce domaine, Jean-Claude Demory témoigne d'une documentation sérieuse. On ne relève que des erreurs factuelles vénielles. Il affirme à tort que Péguy a été reçu troisième à l'École normale (sixième en fait), que l'Action socialiste publiée à la librairie Bellais a été tirée à vingt mille exemplaires (dix mille en réalité), que Charlotte sa femme ne portait pas le moindre intérêt aux Cahiers (le vrai est qu'elle aidait régulièrement son mari à en corriger les épreuves). En revanche, l'interprétation de données par ailleurs globalement exactes appelle des réserves du fait d'une présentation trop rapide. En ne se limitant pas à son projet originel, l'auteur s'interdisait de traiter de façon vraiment satisfaisante les sujets complexes qu'il a tenu à aborder comme la personnalité profonde de Péguy, sa pensée religieuse et politique, ses rapports avec Blanche Raphaël et surtout avec sa belle-famille, laquelle est particulièrement malmenée sur la base d'anecdotes à la fiabilité douteuse. Peut-être trop influencé par les Tharaud, l'auteur a-t-il trop succombé à la volonté de donner du piquant à son récit. À propos de ses sources, on est étonné de l'absence de la moindre référence, en particulier à l'égard de Victor Boudon dont non sans talent il a mis en scène l'irremplaçable témoignage. Le livre n'apprendra rien aux bons connaisseurs de Péguy. Tel n'était d'ailleurs pas son but. La verve dont il témoigne pourra séduire le lecteur néophyte. Encore convient-il de bien avoir conscience que ce récit qui ne se veut ni roman ni biographie relève finalement plus du genre romanesque que du genre biographique.
Géraldi Leroy
Demory Jean-Claude, Les Épis mûrs. Récit sur la mort de Charles Péguy (août-septembre 1914), Éditions Fiacre, 2012, 160 p.