Bulletin d’hommages à Jean Bastaire

Le 26/03/2014

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Le dernier numéro du Bulletin de l’Amitié Charles Péguy vient de paraître. Daté de janvier-mars 2014, ce Bulletin n°145 a pour titre "Hommage à Jean Bastaire". Il rassemble plusieurs textes rédigés en souvenir de cet écrivain, spécialiste de Charles Péguy, décédé le 24 août 2013. Plusieurs de ces textes ont été publiés sur notre site internet (voir ici). Nous avons choisi de publier ci-dessous un des articles d’hommage, signé Marie-Clotilde Hubert. Cette membre fidèle de l’Amitié revient sur l’inlassable engagement de Jean Bastaire à la tête de notre Bulletin.


 


Jean Bastaire, « gérant » du Bulletin de l’Amitié Charles Péguy  (1978-1998)


Jusqu’à sa mort, survenue à la fin de l’année 1976, Auguste Martin était resté omniprésent au cœur des activités de l’Amitié Charles Péguy, dont il était le fondateur. Derrière lui, il laissait, entre autres, deux publications bien vivantes, les Cahiers de l’Amitié Charles Péguy, collection fondée en 1947, et des Feuillets mensuels dont le premier numéro avait paru l’année suivante. Les instances chargées de poursuivre son œuvre furent mises en place très peu de temps après sa disparition, dans les conditions statutaires requises. Le bureau ainsi constitué fut placé sous la présidence d’honneur du professeur Robert Debré et sous la présidence d’André-A. Devaux. Roger Secrétain en était le vice-président et Jean Bastaire le secrétaire général. La première tâche de Bastaire fut de se préoccuper du bulletin qui allait succéder aux Feuillets, cette « œuvre modeste et grandiose » dont Auguste Martin avait souhaité que, si elle devait lui survivre, ce serait sous une autre appellation.


Les Feuillets se présentaient comme un organe d’information, sous forme de fascicules mensuels destinés à tenir les lecteurs au courant de l’actualité péguyste. Ils offraient aussi des articles de fond, dus aux meilleurs spécialistes, ainsi que des éditions de documents inédits. Jean Bastaire en connaissait bien le fonctionnement : sa signature y était apparue dès 1963 et y figura assez régulièrement dans les années 70. C’est donc en connaissance de cause qu’avec André-A. Devaux, il soumit à la réflexion des membres du Comité directeur les questions de forme et de fond relatives au bulletin qui succéderait aux Feuillets. Il présenta au Comité réuni au Centre Péguy d’Orléans, le 17 mars 1977, le résultat de cette enquête accompagné d’un certain nombre de propositions. Sur la forme, le consensus s’établit en faveur d’une publication trimestrielle et sur le passage de feuillets simplement agrafés à des fascicules brochés avec couverture. Afin de répondre aux attentes de la « légitime diversité » des adhérents de l’Amitié, l’assemblée préconisa la souplesse dans la répartition entre les différentes rubriques : documents et dossiers, études isolées ou thématiques, actualité de Péguy et du péguysme, bibliographie. Quant au titre, qui devait réunir les deux concepts d’amitié et de recherche, son choix donna lieu à une longue discussion qui aboutit à la formule suivante : L’Amitié Charles Péguy, bulletin d’informations et de recherches.


Deux fascicules des Feuillets parurent encore au cours de l’année 1977. Le dernier fut consacré à la mémoire d’Auguste Martin. Il contenait un index de la collection des 216 fascicules parus, confectionné par Jean Bastaire. Ce dernier pouvait désormais se consacrer pleinement à la rédaction de la nouvelle revue, dont le premier numéro est daté de janvier-juin 1978. Durant vingt ans, tout au long de quatre-vingts fascicules, il allait faire bénéficier le Bulletin de ses compétences, de son enthousiasme, de sa personnalité foncièrement originale, de son réseau d’amitiés et de relations, et de son activité infatigable. C’est dans un climat de collégialité chaleureuse que se tinrent, autour de lui, les réunions du premier comité de rédaction composé d’André-A. Devaux, du père Pie Duployé, de Simone Fraisse, Françoise Gerbod, Marie-Clotilde Hubert, Géraldi Leroy et Robert Burac, successeur d’Auguste Martin à la direction du Centre Péguy d’Orléans, que rejoignirent un peu plus tard Guy Lecomte et Julie Sabiani.


Dès le départ, Jean Bastaire se préoccupa de la présentation matérielle du Bulletin : de sa tradition  familiale il avait hérité le goût et une bonne connaissance de la typographie ; il estimait en outre qu’une amélioration visible contribuerait à une meilleure diffusion de la revue. N’ayant pas les mêmes raisons de proximité que celles qui avaient dicté à Auguste Martin le choix d’une imprimerie orléanaise pour l’impression des Feuillets, il confia la tâche à l’imprimerie Gerbert d’Aurillac dont il connaissait la réputation. André-A. Devaux donna son accord à l’alourdissement inévitable du coût de fabrication. Jean Bastaire put donc retenir un papier de qualité pour le texte et pour une couverture illustrée, ornée du portrait gravé de Péguy par Louis-Joseph Soulas. En 1985, c’est l’image d’un Péguy plus jeune, exécutée par son camarade Léon Deshairs en 1894, qui sera reproduite sur une couverture désormais en couleur, le changement de couleur en début d’année permettant d’identifier plus aisément les quatre numéros trimestriels d’une même tomaison. Autre innovation un an plus tard : sur chaque couverture, la mention du sous-titre « bulletin d’informations et de recherches » fut remplacée par un encadré destiné à souligner le point fort du fascicule. 


Le premier numéro s’ouvre sur un article-programme adressé « À nos amis, à nos abonnés ». Le ton est donné : « à nos yeux, Péguy n’est pas qu’un sujet d’étude, ou il ne l’est que dans la mesure où il nourrit à des degrés divers nos existences ». La recherche d’un équilibre, dans l’orientation de la revue, entre actualité et érudition, entre information et recherche demeurera une constante dont les livraisons successives tirent leur originalité. Ainsi le sommaire du même numéro 1 de l’année 1978 offre-t-il le début de l’édition par Julie Sabiani de la correspondance Péguy-Pierre Marcel, suivi d’un article de Jacques Brothier sur l’« Avertissement » de Péguy au cahier Mangasarian (sa publication avait été prévue pour les anciens Feuillets) et d’une abondante « Chronique à plusieurs voix », formule empruntée à la revue Esprit. Par la suite, le composé documents/articles/chronique allait se maintenir dans des proportions variables, complété par une bibliographie annuelle.


L’apport documentaire du Bulletin dirigé par Jean Bastaire est inappréciable. Les collaborateurs des Feuillets et des Cahiers de l’Amitié Charles Péguy avaient ouvert la voie dans l’exploitation des ressources du Centre Péguy d’Orléans (fondé en 1964) et d’autres fonds d’inédits. La nouvelle revue ne faillit pas à cette tradition. Des correspondances de Péguy importantes figurent au sommaire de vingt numéros. Il faut y joindre des documents de toute sorte et de toute dimension (souvenirs, témoignages, inédits, coupures de presse, extraits), réunis, présentés (soit isolés, soit en dossier) et annotés le plus souvent par Jean Bastaire lui-même. Leur collecte permettait de disposer d’une réserve de textes utiles à l’occasion pour accompagner, voire expliciter, un article, pour pallier au dernier moment la défaillance d’un auteur, ou pour meubler une page vide en fin de fascicule. Publiés, ces éléments représentent surtout un ensemble précieux, soit pour approcher au plus près la personnalité de Péguy, soit pour mesurer la réception de son œuvre et de sa pensée ; ce sont autant de pierres d’attente, en vue d’une vaste « histoire des péguysmes » dont Bastaire aura jeté les bases.


À suivre la succession des sommaires, on observe que le nombre des articles de fond est allé croissant – sans incidence toutefois sur le chiffre de la pagination, qui resta maîtrisé – et que se manifesta très tôt le souci de ne pas seulement juxtaposer des contributions diversifiées, mais d’en grouper au moins quelques-unes, sinon toutes, en fonction de sujets spécifiques (la Sorbonne, l’école, le théâtre, la poétique, le peuple,…). Depuis 1986, l’encadré de la couverture souligna cette intention (« Jeunesse de Péguy », « La foi de Péguy », « Péguy et Mgr Batiffol »,…). La variété des thèmes témoigne du soin apporté à ne négliger aucune approche et à suivre les tendances de la recherche. Les signatures des articles sont significatives de la place tenue par l’Amitié Charles Péguy et par le Bulletin, son organe, dans le paysage des études péguystes. Elles font apparaître un noyau dur de péguystes français qui, à leur tour, vont stimuler de jeunes chercheurs ; elles révèlent aussi l’intérêt suscité par Péguy à l’étranger, notamment en Italie où le responsable du Bulletin entretint des liens privilégiés avec ses amis de l’université de Lecce ; enfin, des contributions plus occasionnelles montrent un Bastaire sans cesse à l’affût de rencontres nouvelles.


Une des préoccupations de Jean Bastaire fut, en effet, d’inscrire Péguy dans l’actualité de notre époque. À l’écoute de l’« air du temps », il retint plus d’une fois une circonstance particulière – représentation théâtrale, parution d’un livre donnant lieu à polémique ou simplement en vogue,… – pour construire à ce sujet tout ou partie d’un numéro de la revue, susceptible de toucher le public le plus large. D’autre part, des rubriques ouvertes au dialogue, telles que la « Chronique à plusieurs voix » ou les « Glanes » servaient en quelque sorte de caisse de résonance au carrefour des diverses sensibilités péguystes, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui. C’est aussi pour ne pas réserver le Bulletin aux seuls lecteurs spécialisés que, dès la troisième année, Bastaire opéra un « changement de cap », défini dans ses « Bilan et perspectives » du début de 1980 : alors qu’il préparait un numéro spécial sur Un nouveau théologien M. Fernand Laudet, l’éditeur Michel Minard lui proposa de créer une section « Charles Péguy » dans la collection de la Revue des lettres modernes, dont Simone Fraisse serait l’animatrice. Bastaire saisit aussitôt l’occasion. L’ensemble des articles déjà réunis constituèrent le premier volume de cette nouvelle série ; ils échappaient aux contraintes de format imposées par la publication en revue, et cette démultiplication d’activité offrait une marge supplémentaire d’espace pour le périodique. De la même façon, l’édition par Julie Sabiani de la correspondance Péguy-Pierre Marcel, qui n’avait pu être que partielle dans le Bulletin, trouva place intégralement dans la collection des Cahiers de l’Amitié Charles Péguy, toujours patronnée par l’Amitié mais diffusée par Minard. 


La gestion d’une revue s’exerce sur plusieurs fronts. Elle requiert chez son responsable une bonne dose d’abnégation. En ce qui concerne la politique éditoriale, la conception des numéros ou le choix des auteurs, la tâche fut facilitée à Bastaire par sa communauté de vues et son entente avec les présidents de l’Amitié, André-A. Devaux, Yves Rey-Herme, Françoise Gerbod. Mais il assuma aussi, avec compétence et sans jamais se départir de son enthousiasme, le quotidien d’un directeur de rédaction, c’est-à-dire l’ensemble des activités et problèmes inhérents à la fabrication d’une revue : contacts et rapports (directs, épistolaires, téléphoniques) avec les auteurs, préparation des manuscrits pour l’impression, angoisse des défections de dernière heure, va-et vient de la copie entre rédaction et imprimeur, relecture des épreuves, surveillance du routage, sans parler de la lourde obligation de régularité qu’impose une périodicité trimestrielle. Vingt ans durant, Bastaire s’appliqua non seulement à mener conjointement pilotage intellectuel et administration matérielle, mais aussi à concilier continuité et évolution dans ces domaines. Si le Bulletin de l’Amitié Charles Péguy possède une identité véritable, c’est que, dès le départ, Jean Bastaire avait mis sa curiosité d’esprit, sa vaillance et son pragmatisme avisé à l’entier service de cette voix de l’Amitié qu’il eut à cœur de faire entendre. 


Marie-Clotilde Hubert


Bulletin de l’Amitié Charles Péguy, N°145, Janvier-Mars 2014, « Hommage à Jean Bastaire ». (Sommaire ici)









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