Commentaires autour de l'hommage de M. Sarkozy à Péguy
Le 15/11/2011
A l'occasion des commémorations du 11-Novembre, le président de la République a rendu hommage à Charles Péguy, à la fois en le citant dans des discours mais aussi en se rendant à Villeroy (voir article). Cela a donné lieu à plusieurs commentaires dans la presse. Synthèse.
« "Mères, voiçi vos fils qui se sont tant battus". Ces vers ne sont pas venus aux lèvres du président de la République devant la tombe de celui qui les composa, Charles Péguy. Et pourtant, ils illustrent l’esprit de ce 11-Novembre tel que le voit Nicolas Sarkozy pour les années à venir : une journée non plus seulement en mémoire de l’armistice, mais de tous les morts pour la France. » Ainsi commence l’éditorial en Une du quotidien Le Figaro, en date du 12-13 novembre 2011. Le journaliste, Etienne de Montéty, résume à sa manière la journée du souvenir, commémorée la veille par le président de la République.
Des vers de Péguy, Nicolas Sarkozy en a cité durant son discours prononcé le matin du 11 novembre, Place de l’Etoile, à Paris. Extraits de l’allocution présidentielle :
« J'irai tout à l'heure me recueillir sur la tombe de Charles Péguy. En 1909, il avait écrit à propos de l'Histoire dont Michelet disait « elle est une résurrection » : « il ne faut pas passer au long du cimetière, ni passer au long des monuments (...), il s'agit de remonter en nous-mêmes comme l'on remonte le cours d'un fleuve ». Oserais-je dire que pour remonter le cours de notre propre histoire, car c'est la nôtre, nous ne devons pas simplement commémorer, nous devons communier. Communier, non seulement par le geste, mais aussi par la pensée avec les vertus de devoir, de courage et de sacrifice de ceux qui se sont tant battus pour nous, mais aussi avec leur douleur, car la douleur fut immense. Les générations qui commencèrent cette guerre l'avaient regardée venir d'abord comme une fatalité, puis comme une nécessité. Toute une jeunesse qui souffrait d'une forme de désespérance et d'un manque d'idéal, avait même fini par la regarder comme une rédemption. Elle cherchait une mystique. Elle épousa celle du sacrifice. Péguy avait écrit :
« Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
couchés dessus le sol à la face de Dieu (...),
Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre,
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés »
Cette jeunesse partit avec ses aînés le cœur presque gai vers le grand massacre. Péguy mourut aux premiers jours de la guerre, dans les premiers combats, debout sous la mitraille, d'une mort de poète, dans un geste héroïque et naïf. »
Dans l’après-midi, Nicolas Sarkozy s’est rendu à Villeroy, à quelques kilomètres du Meaux, pour se recueillir non pas devant la tombe de Charles Péguy, comme il l’avait déclaré, mais devant un monument qui lui est consacré. Cet hommage rendu spécifiquement à Charles Péguy a été diversement commenté dans la presse.
« Un bon choix, Péguy, libertaire converti au pur catholicisme et haute figure du Panthéon français. À côté du sacrifice qu’il consentit, les efforts que nous réclame aujourd’hui le gouvernement ne pèsent rien. D’ici à en tirer un argument électoral… » écrit ainsi Gilles Debernardi dans un billet paru dans le Dauphiné Libéré en date du 11 Novembre.
Dans un article intitulé « Le 11-Novembre, un hommage devenu plus politique qu'historique », et paru dans Le Monde le 11 novembre, les journalistes Arnaud Leparmentier et Thomas Wieder estiment que Péguy est « une icône qui, par la diversité de ses engagements (dreyfusard, socialiste, patriotique et catholique), peut être revendiquée aussi bien par la gauche que par la droite ».
A gauche, justement, François Hollande commente l’hommage rendu par Nicolas Sarkozy à Charles Péguy. Le déplacement du candidat socialiste à la prochaine présidentielle dans la Marne le 11 novembre est couvert par le magazine Les Inrocks. Extraits : « François Hollande a toutefois implicitement critiqué Nicolas Sarkozy. « Il ne faut pas utiliser l’Histoire au risque de la division, il faut partir de l’Histoire pour rassembler », a-t-il dit, rappelant les controverses créées par les initiatives prises par le chef de l’Etat depuis 2007 – lettre de Guy Môquet lue aux lycéens, Maison de l’Histoire de France - et même avant – lois mémorielles sur le colonialisme, utilisation de Jean Jaurès et de Léon Blum pendant la campagne présidentielle. « Aujourd’hui, c’était Charles Péguy », a-t-il relevé alors que Nicolas Sarkozy venait de rendre hommage à l’écrivain tombé au combat, à la veille de la bataille de la Marne, en septembre 1914. « Péguy est quand même une personnalité contrastée, dreyfusard mais ensuite engagé dans un affrontement terrible avec Jaurès », a précisé François Hollande (…) »
Alors, quel Péguy, Nicolas Sarkozy a-t-il célébré ? La réponse la plus complète figure dans la tribune signée par Romain Vaissermann, membre de l’Amitié Charles Péguy, et parue le 11 novembre sur le site d’information Atlantico.fr. Pour lui, « en célébrant Péguy, Sarkozy peut fêter à la fois Jeanne d'Arc et Jaurès ». Extraits :
« Pour moi, qui juge l’annonce de cet hommage à Charles Péguy pour lequel j’ai reçu l’invitation le 9 novembre 2011 (tampon postal du 8, répondre avant le 10), pour moi donc une célébration de plus, fût-elle apparemment improvisée par les services de l’État, ne me choque pas et me réjouit même. Naïveté de trentenaire face à une sous-panthéonisation intéressée, et rusée, permettant de récupérer un auteur inclassable, aussi bien référence trotskyste que vénéré chez les frontistes ? Courte vue d’enseignant qui y voit la tant espérée revanche de Lagarde et Michard ? Faute grave pour un spécialiste de Péguy, de Péguy qui fut révolutionnaire moraliste, libertaire épris de vérité par-dessus tout, opposant à la politique la « mystique » qui lui donne naissance ? Au lieu de répondre à ces questions, je soulignerai plusieurs points.
D’abord, Péguy a voulu « réussir » et obtenir une reconnaissance, avant tout certes celle de ses pairs. Un lecteur hypercritique comme Henri Guillemin a même dépeint en Péguy un carriériste plus ou moins refoulé : passons sur l’exagération, un écrivain étant de toute façon bien au-dessus des réductions psychologiques auxquelles la critique veut parfois le soumettre. En réalité, une audience élargie n’aurait pas déplu à l’homme-orchestre des Cahiers de la quinzaine, bien au contraire. Souhaitait-il pour autant devenir un écrivain officiel ? Certes pas : le peut-il, ce dénonciateur de la pensée unique, auteur de nombreux dialogues, aux multiples pseudonymes ? D’ailleurs l’hommage d’un jour - autant que la présence de Péguy dans l’intéressante Anthologie de la poésie française de Georges Pompidou parue en 1961 - ne vaut pas récupération.
Après l’âge des survivants, vient nécessairement un temps où la littérature prend le relais. Alors on peut recourir à Péguy, comme à d’autres. Aussitôt victime de la Première guerre mondiale, Péguy n’en laisse pas des souvenirs mais des strophes prémonitoires, dans son long poème Ève, souvent (ré)citées : « Heureux ceux qui sont morts pour une juste guerre. / Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés… » Mais que nul ne fasse de Péguy un nationaliste, lui qui déclarait en août 1914 : « Je pars soldat de la République, pour le désarmement général et la dernière des guerres ! » La générosité de ses idées ne le cède en rien au courage de ses derniers instant, où, resté debout sous le feu ennemi, le lieutenant commande la charge de ses hommes.
Péguy sera-t-il, dans le discours de ce 11 novembre 2011, rattaché à Jaurès, que Nicolas Sarkozy avait mobilisé lors de sa campagne de 2007 et que Péguy admirait tant dans sa jeunesse socialiste, y compris quand notre Orléanais écrivait sa Jeanne d’Arc, dédiée à la « République socialiste universelle » ? C’est possible, le temps n’est heureusement plus, où l’on faisait de Péguy l’inspirateur de l’assassin de Jaurès.
Péguy sera-t-il renvoyé, pour plaire à l’électorat chrétien, à la foi qu’il retrouve peu à peu à l’âge adulte et qu’il manifeste publiquement à partir de 1910 ? Il est improbable que le discours de Latran soit repris, mêlant cette fois le glaive et le goupillon, au risque de rappeler l’honteuse récupération pétainiste de Péguy.
Écoutons donc sans allégations partisanes prématurées le discours prononcé sur la tombe de Péguy, attentif au ton autant qu’à son sens premier : « Ne me dites pas ce que vous dites, ni que vous dites ceci ou cela […]. Cela n’a aucune espèce d’importance. Le répertoire de ce que l’on a dit, de ce que l’on n’a pas dit, de ce que l’on a pu ou pouvait dire est en effet une œuvre morte. Ce n’est jamais, ce ne sera jamais qu’une œuvre et un travail sec d’enregistrements, une œuvre ou plutôt un travail scientifique, une opération de cimetière, un cortège de corbillards. Mais parlez-moi donc un peu, plutôt, parlez-moi donc seulement, dites-moi donc seulement un peu comment vous le dites, et que vous le dites comme ci, comme ça. Voilà ce que je vous demande. Et alors je vous écoute. » (Ch. Péguy, Un poète l’a dit, 1907). »
Par : Jean-Michel OULER
Note :
Titre : Enfin....!!!
Avis : Il est temps de voir en Péguy la complexité, voire l'ambivalence de l' esprit français. Jamais idéologue, jamais dogmatique,toujours foncièrement libre des autres et de lui même( il écrit:"Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite"")au point d'être passionné et parfois même violent dans le propos. Il faut étudier et lire Péguy: la langue est de surcroit vraiment française car"divinement" belle".L'article a bien rendu l'esprit de Péguy- Jean-Michel OULER- Lisieux- 04/01/2012
Par : Webmaster
Note :
Titre : Webmaster
Avis : Pour sa part, Le Point consacre un article à un autre conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, "lecteur et relecteur de Charles Péguy", selon l'expression employée par l'hebdomadaire.
Lien : http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/said-mahrane/guaino-l-arme-patriotique-de-sarkozy-28-11-2011-1401519_481.php